[Presse] le doute

 "Cette excellente graveuse, longtemps professeur d'arts graphiques à l'Académie d'Uccle, donne à ses dessins une douce étrangeté et une grande beauté."
Un bel article dans La Libre de ce 18 mars 2020 !

 

La petite boule ne l'aura pas…

Anne Casterman, Le Carnet et les Instants, juillet 2020

"Lorsque vous prenez le doute entre vos mains – un livre à la jaquette en papier Kraft ordinaire sur lequel vous pouvez lire ce titre laconique sans majuscule et observer un amusant dessin au bic d’un dromadaire, ou plutôt d’un chameau à trois bosses – vous êtes déjà happé par l’univers d’Anne Wolfers.

Quand elle était enfant, Anne Wolfers passait son temps à se fabriquer de petites marionnettes. Elle aurait voulu s’orienter vers l’illustration, mais cette formation n’existait pas à l’époque. Après avoir découvert la gravure au cours d’un stage, elle décide de s’inscrire dans cette section à la Cambre (ENSAV) et cette passion ne l’a plus quittée. Cette graveuse hors pair a été professeure pendant de longues années à l’École des arts d’Uccle.

En 2012, un état de dépression sévère conduit Anne Wolfers à l’hôpital, mais, avant d’entrer en psychiatrie, elle achète un carnet et un stylo à bille, un banal bic noir, un Slikpen. Il prend place dans sa main. Commence alors un récit dessiné. Elle s’installe dans son lit, confortablement ; le dessin, rapide, vient la surprendre, puis la phrase rebondit dessus en un incessant jeu de ping-pong insolite et décalé. Écrire devient essentiel aussi pour elle. Ce fil rouge quotidien contribue à la tenir debout pendant cette sombre période, à la relier à ses émotions, à ses souvenirs d’enfance et à son inconscient. Il entre dans le processus de la guérison en y jouant un rôle thérapeutique. Au départ, cette histoire très personnelle n’était pas destinée à être publiée, mais de ce journal intime de sa dépression naîtra le livre à l’ouest (Esperluète, 2016). 

Puis une autre épreuve suspend à nouveau sa vie. Et vient Le doute.

Un mot pour toute une tranche de vie. Un titre qui ne dit rien de cette histoire, celle d’un cancer du sein. Pourtant il en dit long aussi. Le doute submerge ce moment entre la suspicion d’un cancer et la confirmation du diagnostic, vertigineux, puis il jalonne cette épreuve. Et le livre s’ouvre sur un texte qui l’annonce.

Dans la brassée des récits de vie sur le cancer du sein, Anne Wolfers aborde ce sujet sensible autrement : elle relate son cheminement personnel par l’économie des mots et la force de ses dessins délicats, voire naïfs. Elle met subtilement en contrepoint le dessin et les mots pour dire et évoquer les phases et les états d’âme par lesquels on passe dans cette maladie : l’attente, les traitements (l’opération, la radiothérapie, l’hormonothérapie, etc.), la guérison.

Mais les autres sont là : le compagnon, la famille, les amis, les médecins. Ils prennent aussi la parole. Les mots des autres et les siens. Et le dessin, seulement le sien, accompagne puissamment le texte. Elle recourt à toute la palette de cet art : traits continus, discontinus, pointillés, hachures, tracé précis, esquissé ou flouté, lignes courbes ou droites… De la pointe de son bic – de Monsieur Slikpen, comme elle le nomme – surgissent des images poétiques comme cet autoportrait évanescent pour le 2 octobre, le chagrin du corps ou, le 22 octobre, – je vous trouve en bonne forme, ce corps si petit dans la main du médecin si grand. Ou encore ces animaux divers, parfois anthropomorphes, qui ponctuent le récit. 

Parmi les artistes qui la fascinent, elle vous citera Goya, Lucian Freund, David Hockney, Marlène Dumas, les miniaturistes persans. Mais vous penserez aussi à Kiki Smith, à Egon Schiele, à Siné ou à bien d’autres en découvrant ses dessins. Comme s’ils étaient préparés par sa longue pratique de la gravure, où elle privilégie les techniques du vernis mou et de l’aquatinte, et par son exigeante quête de perfection qui requiert des heures de travail, les dessins de ce livre, rapides, jamais retouchés, surgissent avec une fraîcheur évidente malgré la gravité du propos. Ses métaphores du jour. Des condensés d’émotions. Ils sont tour à tour drôles, émouvants, sérieux, absurdes, morcelés, enfantins…   Ils ne vous laissent jamais indifférent. Il suffit de regarder la gueule de ce chameau, aux deux bosses en forme de seins, qui épie la troisième petite protubérance d’un air très perplexe, mais légèrement souriant.

« Tous les chagrins sont supportables si l’on en fait un conte ou si l’on raconte une histoire pour le dire ». Le choix en exergue de cette citation de Karen Blixen est explicite. Ce récit dessiné, c’est noir sur blanc le rituel de survie d’une femme. Le doute ou comment le peu peut dire beaucoup."

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